ÉDITO
Serre, Lécrivain, Reine, Gourp, Dumesnil, Érable…
Autant de noms qui échauffent jusqu’à la transe les
cervelles honorables. Une fois ces figures et leurs
bravoures répétées comme des légendes, les mains
crépitent, s’accrochent à de vieux Bréguet 14, et les yeux
voient alors défiler en un fantasme les plus ardents
déserts, les brouillards impénétrables, l’Océan déchaîné
ainsi qu’une femelle en rut et les mortels entonnoirs de
la Cordillère.
Mais la Compagnie Latécoère, puis l’Aéropostale, ont
acquis leur noblesse la plus haute par l’intransigeance et
la pureté de trois de leurs pilotes: Mermoz, Guillaumet,
Saint-Exupéry. Après eux court une aura sans fards, l’aura
de trois hommes pour qui le surpassement d’eux-mêmes
se mêlait à leur volonté d’airain. Ils semblent avoir été
modelés par Dieu pour l’aviation, exclusivement. Et c’est
dans l’acceptation des rigueurs du ciel que leur liberté
s’est fortifiée. Ils ont vécu avec une passion démente
cette soif impérissable de l’azur neuf, qui chaque jour
se conquiert par un risque toujours renouvelé, et jamais
similaire au précédent vol. Plus que des voyageurs, ils
ont aimanté l’aventure à leurs ailes. À leurs chairs.
À 150 Km/h, ils ont remué la masse des continents
et des rituels ancestraux des peuplades primitives.
Rudement, ils ont étreint le monde par-dessus l’écume
d’or et de sang du vieil Atlantique. Mais, toujours, pour
ces êtres à qui la vie se donne tout entière, le fil des
Parques se consume avec cruauté. Chez ces hommesoiseaux,
chaque événement prend la force du signe,
et, inexorablement, malgré les luttes dont ils sortaient
chaque fois vainqueurs, le lacet du destin se rétrécit,
jusqu’au funèbre baiser des flots et de l’avion.
Saluant ces fils d’Icare, pour qui le soleil fut un père
nourricier, Raskar s’embarque !
Yves Delafoy