L’édito: Raskar Kapac réanime Chaïm Soutine!

ÉDITO

Soixante-dix ans. C’est le temps qu’il a fallu pour que
Soutine sorte de son purgatoire. En 2013, enfin, le
grand public découvre son nom : une grande exposition
à l’Orangerie, et une enchère record à New York, 18
millions de dollars pour Le Petit Pâtissier. Il a dû bien
se marrer dans sa tombe du cimetière Montparnasse, le
petit Soutine. Lui qui, à ses débuts à Paris, peignait les
arrivages de poissons dans les Halles pour tromper sa
faim.
Après tout, il l’a peut-être cherché, ce long anonymat.
Il détestait montrer ses toiles. Artiste secret, mais qui
bouillonnait à l’intérieur. Homme d’une discrétion
maladive : il n’avait pas l’exubérance d’un Modigliani, ni
la facilité d’un Picasso. Il n’a jamais cherché à se mettre
en scène, ayant une souveraine indifférence pour la
gloriole. Il peignait comme il respirait : pour lui c’était
une évidence.
« L’un des rares peintres religieux qu’ait connu le
monde », selon Élie Faure. « Un saint de la peinture »,
cherchant en permanence la rédemption dans sa mission
d’artiste. Paradoxal pour un peintre athée. C’est que
sa foi ne résidait pas en Dieu, mais dans une croyance
désespérée en la matière charnelle. Prométhée égaré
dans une époque où l’art s’enfonçait dans l’abstraction,
il a tenté, jusqu’à la folie, de peindre la vie de la façon la
plus exacte qui soit.
L’art était pour lui plus réel que la vie. Il était capable
de voyager une nuit dans un wagon de bestiaux pour
contempler les toiles de Rembrandt à Amsterdam.
Perfectionniste acharné, qui pouvait attendre des
heures que le vent se lève, en restant les bras croisés,
pour obtenir le paysage souhaité. Pendant l’hiver, il ne
touchait plus à ses pinceaux durant des mois, car il avait
besoin du soleil de printemps qui illuminait tant ses
tableaux. Magicien qui faisait s’ajuster la nature et les
saisons à sa peinture.
Grand travailleur, mais qui aimait passer des journées
entières à rire avec Modi, sur les terrasses des cafés.
Mutique, restant des heures sans décrocher un mot,
mais pouvant aussi parler longuement de ses écrivains
et peintres préférés. Ascète au régime très strict, mais
qui ruinait ses efforts dans d’abominables cuites. Peintre
de la souffrance, lui-même torturé par un ulcère très
douloureux à l’estomac, mais qui confiait avoir toujours
été un homme heureux. Autant de contradictions qui le
rendent tellement humain, trop humain.
Alors oui, réanimons Chaïm Soutine ! De l’air et du sang !

                  Archibald Ney

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