ÉDITO
Raskar sur écran noir… Rappelez-vous, l’après-guerre
tout contre elle vit surgir un souffle neuf. Un souffle
désinvolte, fragile et malicieux ; inquiet, viril et désabusé.
Un vent nouveau, aux antipodes du graillon de la guerre
et des métaphysiques d’usine. Et dans cette génération,
lancée en pleine course d’orientation, quelques visages
tragiques ont su porter haut la tendresse sanglante
de ces coeurs. Maurice Ronet fut – à ses dépens ! – l’un
des plus ardents porte-étendards de ces âmes lasses,
et pourtant assoiffées d’amour et d’aventure. Des âmes
aux couleurs chatoyantes du paradoxe. Tantôt acides
et provocantes, tantôt prévenantes et délicates. Ronet,
c’est cela. C’est tout cela. La gueule bénie d’un séraphin ;
le regard du diable en pleine chute. Des projets en
pagaille qui lui brûlent la cervelle, et les mains qui
glissent sans une escale où s’arrimer. Maurice Ronet,
c’est James Dean sans l’artifice. C’est Musset sans
les pleurs. C’est l’acteur qui pour jouer ne force rien, tant
sa vie intérieure le nimbe d’une grâce et d’un mystère
opaque. Ronet, c’est l’esthète qui laisse aux trottoirs
la doxa. C’est celui qui murmure après Brasillach
« Vienne la nuit que je m’embarque, Loin des murs que
fait ma prison », sans se soucier des cabots de la Mère-
Morale. Ronet, c’est l’homme qui sut se faire adorer
d’Anouck Aimé, et qui embrassait gaiement les filles
légères de Barcelone. C’est l’enfant qui colore la nuit
et celui qui chante la vie dans toutes ses gammes
tragiques. C’est l’adolescent qui chasse l’ennui, et que
l’angoisse poursuit. Mais aussi le gentilhomme de l’amitié
et la silhouette racée de la mélancolie. L’amoureux
qui voit danser les soleils d’ambre et de malt au fond
des verres, et le baroudeur qui part filmer les dragons
sur l’île de Komodo.
Voilà le passeport de Maurice Ronet… Maintenant, chers
lecteurs, silence et que grondent les moteurs…
Action !
Yves Delafoy